Adénocarcinome du rectum T3N0 : il y a-t-il une place pour un traitement néo-adjuvant sur mesure ?
Le thésaurus de la SNFGE sur la prise en charge des adénocarcinomes du rectum recommande la réalisation d’une radiochimiothérapie néo-adjuvante pour les tumeurs T3 N0 ou T1 à T3 N+. En cas de petite tumeur postérieure T3 N0, la possibilité d’une radiothérapie néo-adjuvante seule voire même l’absence de traitement préopératoire sont évoquées. Nous nous approchons progressivement d’un traitement préopératoire taillé sur mesure à la tumeur, mais cela est-il actuellement réalisable ou souhaitable ? Pour tenter de répondre à cette question, la littérature nous donne quelques pistes de réflexion.
La radiothérapie préopératoire diminue le risque de récidive locale, même lorsqu’elle est associée à une chirurgie avec exérèse carcinologique du mésorectum réalisée par des experts, mais elle n’améliore pas la survie (1). L’association d’une chimiothérapie permet d’améliorer le contrôle local (2) et la survie pour les malades T0-2 sur la pièce opératoire (3).
La radiochimiothérapie est mieux tolérée et se complique moins lorsqu’elle est réalisée en préopératoire (4). La radiochimiothérapie préopératoire est donc devenue le traitement de référence pour les tumeurs T3-4 ou N+, mais est-elle toujours nécessaire ?
Une étude allemande a mis en évidence que 18% des malades considérés T3, T4 ou N+ en écho-endoscopie préopératoire avait en réalité un stade inférieur ne justifiant pas de traitement néoadjuvant (4). De plus, le traitement préopératoire induit un down-staging et il est probable que certains malades N+ en préopératoire, devenant N0 après radiochimiothérapie, ne reçoivent pas, peut être à tort, de chimiothérapie postopératoire. De surcroît, ce traitement se fait au prix d’effets secondaires parfois graves (sexuels pour la radiothérapie (5), toxicité de la chimiothérapie). Enfin, des auteurs ont montré que, dans certaines conditions, il était possible de traiter des tumeurs T3N0 par chirurgie seule avec un faible taux de récidive locale (6).
Puisque la radiochimiothérapie pré-opératoire améliore le contrôle des tumeurs évoluées mais qu’elle n’est pas dénuée de risque, il serait nécessaire de ne l’indiquer qu’aux seuls patients à risque élevé de récidive locale ou de métastases (T3-4, N+, marges circonférentielles faibles, exérèse incomplète du mésorectum). A contrario, il serait donc possible de traiter ces tumeurs sans traitement néo-adjuvant à la condition d’avoir la certitude préopératoire de réunir les trois conditions suivantes : qu’il s’agisse d’une tumeur T3-N0, que la marge d’exérèse circonférentielle soit suffisante (>2 mm) et que l’exérèse du mésorectum soit complète. En pratique, obtenir toutes les conditions satisfaisantes est difficile.
Concernant la stadification préopératoire, l’écho-endoscopie et l’IRM sont très utiles mais leur précision est parfois insuffisante : ainsi la précision de l’écho-endoscopie pour la détermination de l’envahissement pariétal et ganglionnaire varie entre 60 et 90% et la sensibilité de l’écho-endoscopie et de l’IRM pour diagnostiquer des ganglions métasta-tiques est comparable, comprise entre 45 et 80%.
Le manque de précision du bilan morphologique préopératoire a été souligné dans une étude récente. 143 malades ont été classés T3N0 après un bilan EE/IRM et ces malades ont tous reçu une radio-chimiothérapie.
L’examen anatomopathologique post-opératoire a révélé 22% de malades N+ (7).
Concernant la marge circonférentielle, il est possible d’avoir la certitude d’une marge histologique de plus de 2 mm lorsque la marge déterminée par IRM est > à 6 mm (8). Obtenir cette précision concernant la marge ne semble pas toujours possible pour les tumeurs antérieures ou en cas d’inflammation du mésorectum.
Concernant la qualité de l’exérèse du mésorectum, elle n’est que rarement parfaite. Dans l’étude hollandaise du Dutch group, où tout les chirurgiens avaient été formés à l’exérèse carcinologique du mésorectum, il a été montré que 24% des malades avaient une exérèse incomplète du mésorectum et que ces malades avaient un risque accru de récidive locale et de métastases (8).
Il ne semble donc pas raisonnable actuellement de se passer de la radio-chimiothérapie préopératoire en cas de tumeur T3 N0, même pour des patients semblant sélectionnés, sans prendre le risque de traiter insuffisamment un certain nombre de malades.
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F. Mauvais,CH Beauvais
Anti-récepteurs à l’EGF et cancer colorectal métastatique. Vers une meilleure sélection des malades par les caractéristiques moléculaires des tumeurs.
(Lièvre A, Laurent-Puig P. Facteurs prédictifs de réponse aux traitements anti-REGF dans le cancer colorectal. Bull Cancer 2008 ;95 :133-40)
Les anti-récepteurs à l’Epidermal growth factor (anti-REGF), tels le cetuximab et prochainement le panitumumab, appartiennent au groupe des thérapies ciblées, utilisées dans le traitement du cancer colorectal métastatique après échec d’une chimiothérapie à base d’irinotecan.
Le REGF est un récepteur membranaire, activé dans de nombreux cancers épithéliaux, notamment le cancer colorectal. Son activation stimule plusieurs voies de transduction du signal dans les cellules cancéreuses, impliquant notamment les protéines RAS, BRAF et PI3KCA, avec pour conséquences une induction de la prolifération cellulaire, une inhibition de l’apoptose et une activation de la néoangiogenèse.
Les anticorps monoclonaux dirigés contre le REGF, utilisés en thérapeutique en association avec une chimiothérapie à base d’irinotecan, se fixent au récepteur, empêchant la liaison avec son ligand, et inhibent son activation.
Leur efficacité n’est pas optimale puisque seuls 8 à 23% des malades, en fonction des séries, présentent une réponse tumorale objective au cetuximab et bénéficient donc du traitement. Le bénéfice thérapeutique est en outre à mettre en balance avec la toxicité du traitement, notamment cutanée et immunoallergique, et son coût élevé.
Des facteurs prédictifs de réponse aux anti-REGF ont été récemment identifiés, notamment des facteurs moléculaires impliqués dans la voie de signalisation de l’EGF. Ils sont très clairement exposés par Lièvre et Laurent-Puig dans leur mise au point dans le numéro de janvier 2008 du Bulletin du Cancer.
Il s’agit notamment:
- des mutations de KRAS : les mutations de KRAS, l’un des effecteurs des voies de signalisation de l’EGF en aval du REGF, recherchées sur des fragments tumoraux congelés par PCR, sont observées dans 30 à 40% des cancers colorectaux. Cinq études récentes ont montré que la présence d’une mutation de KRAS était associée à l’absence de réponse au cetuximab : 0 à 6% de répondeurs en présence d’une mutation de KRAS, contre 25 à 50% de répondeurs chez les patients ayant une tumeur sans mutation. Le panitumumab devrait d’ailleurs obtenir l’AMM européenne uniquement chez les patients n’ayant pas de mutation de KRAS.
- du nombre de copies du gène du REGF : cinq études récentes ont montré que l’augmentation du nombre des copies du gène du REGF, recherchées par des techniques de FISH ou de CISH sur coupes en paraffine ou par PCR quantitative sur des fragments tumoraux congelés, était corrélée à une meilleure réponse au traitement par cetuximab : 0 à 5% de répondeurs en l’absence d’augmentation des copies du gène contre 30 à 90% de répondeurs en présence d’une augmentation des copies du gène.
- de l’expression de l’épiréguline et de l’amphiréguline : une équipe américaine a montré en 2007, par des techniques moléculaires utilisant des puces tissulaires, que les patients avec un cancer colorectal ayant un haut niveau d’expression génique de l’épiréguline (EREG) et de l’amphiréguline (AREG), deux ligands du REGF, avaient une meilleure réponse thérapeutique et une survie sans progression plus longue que ceux ayant un faible niveau d’expression de ces gènes.
- de la toxicité cutanée : différentes études ont montré que l’éruption cutanée acnéiforme induite par le cetuximab (dont la pathogénie est mal connue mais probablement due à la présence de REGF sur les cellules du revêtement cutané et à des phénomènes immuno-allergiques) était corrélée à l’efficacité des traitements ciblés anti-REGF et au pronostic. Mais il faut noter que 50% des malades sans éruption ou avec une éruption mineure ont une réponse objective ou sont stabilisés par le cetuximab et que 30% des malades ayant un rash sévère progressent sous traitement.
La valeur de ces différents facteurs prédictifs de réponse aux anti-REGF reste à confirmer sur de plus amples séries de malades, mais la recherche de ces facteurs moléculaires devrait probablement devenir incontournable à l’avenir, notamment la recherche des mutations de KRAS et du nombre de copies du gène du REGF, avant d’instituer tout traitement par anti-REGF chez les patients
D. Chatelain, CHU AMIENS
Rien de neuf dans la prise en charge des cancers coliques de stade II !
Les cancers coliques de stade II (T3, T4 – N0) ont un taux de survie à 5 ans variant de 65 à 85% (1).
Quelles sont les tumeurs au pronostic défavorable ? Comment améliorer la survie de ces patients après chirurgie ? Ces questions restent aujourd’hui encore en partie sans réponse.
Les facteurs de mauvais pronostic classiques restent d’actualité (T4 perforation, nombre de ganglions examinés inférieur à 10, mauvaise différenciation, envahissement lymphatique ou vasculaire péri tumoral) (2-4).
Il est confirmé que le caractère T4 et le nombre insuffisant de ganglions examinés sont les deux critères majeurs de mauvais pronostic (5-7).
Dans l’étude de Bilchilk, tous les patients sans atteinte ganglionnaire étaient survivants sans récidive (suivi 25 mois seulement) l’analyse ganglionnaire était sensibilisée par l’étude du ganglion sentinelle en immuno-histochimie et complétée par une recherche par PCR de micro métastases en cas de négativité. Cette étude souligne l’intérêt majeur de l’analyse qualitative des ganglions afin de bien grader les tumeurs qui devraient alors bénéficié d’un traitement adjuvant (8). En dehors de ces critères classiques, Uen propose de rechercher, par biologie moléculaire, 4 marqueurs d’ARNm tumoral (témoins de la présence de cellules circulantes) qui sont corrélés au risque de récidive métastatique dans cette étude (7).
Le budding de haut grade (amas de cellules indifférenciées en bordure de la tumeur en histologie) est, pour Nakamura, significativement corrélé au risque de récidive sur une étude portant sur 226 patients (9).
Quant au traitement, le suivi des patients de l’essai QUASART (2963 patients de stade II suivis depuis 1994) confirme le faible impact sur la survie (gain de survie globale à 5 ans estimé à 3.6%) bien que ce soit un des essais historiques les plus optimistes (10).
Un essai randomisé autrichien, sur 500 patients, ne met en évidence aucun bénéfice sur la survie globale ou la survie sans récidive (11).
Dans ces 2 essais il s’agit d’une chimiothérapie par 5FU et lévamisole
Ces deux études illustrent parfaitement la littérature de la dernière décennie sur la difficulté à mettre en évidence un bénéfice des traitements adjuvants sur la survie globale dans les cancers coliques de stade II, y compris avec des facteurs de mauvais pronostic (T4 perforation, nombre de ganglions examinés inférieur à 10, mauvaise différenciation, envahissement lymphatique ou vasculaire péri tumoral) (2-4).
De nombreux essais sont aujourd’hui en cours pour évaluer l’impact des thérapies ciblées (Bevacizumab ou Cetuximab) en traitement adjuvant des cancers de stade II et III (12).
En conclusion, il faut probablement continuer de proposer une chimiothérapie aux tumeurs T4 ou Nx puisqu’on connaît de façon formelle leur mauvais pronostic.
Cependant, contrairement aux tumeurs de stade III, le bénéfice de cette chimiothérapie n’est pas démontré (même pour les « mauvais » stades II.
Il n’y a pas en pratique de routine aujourd’hui d’autres critères permettant de sélectionner les patients. Il faut espérer que les thérapies ciblées puissent apporter un bénéfice à ces patients, dans les années à venir.
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D.Manaouil, Clinique Pauchet, Amiens