Les critères pronostiques les plus puissants, à l’issue de l’analyse anatomo-pathologique de pièces opératoires de cancers colo-rectaux, correspondent toujours actuellement au degré d’infiltration tumorale au sein de la paroi colique, et à l’existence de métastases ganglionnaires.
Ces items, déjà présents dans la classification de Dukes, sont la base de la classification pTNM des cancers colo-rectaux [1].
Le degré de différenciation tumorale a toujours été considéré comme un critère histopronostic important, mais au définitif peu fiable, en raison du manque de reproductibilité diagnostique entre pathologistes. En effet dans la classification TNM, l’évaluation du caractère bien différencié de la tumeur (grade 1), moyennement différencié (grade 2), peu différencié (grade 3), et indifférencié (grade 4) par les pathologistes s’avère souvent difficile. En raison de critères d’appréciation subjectifs et différents entre pathologistes, et du fait parfois de la co-existence de contingents tumoraux de différenciations diverses au sein d’une même lésion [1]. La World Health Organization recommande quant à elle plutôt de regrouper les adénocarcinomes coliques de grades 1 et 2 en tumeurs de bas grade, et les adénocarcinomes de grades 3 et 4 en tumeurs de haut grade [2].
Deux équipes, l’une japonaise, de Ueno et al. [3-5], l’autre italienne, de Barresi et al. [6-8], militent depuis quelques années pour l’évaluation par les pathologistes d’un critère histopronostic puissant, facile à apprécier, et reproductible: le compte des amas carcinomateux peu différenciés au sein de la tumeur (poorly differentiated clusters). Leur nombre serait en fait un reflet du degré de différenciation tumorale.
Histologiquement ces amas peu différenciés sont caractérisés par la présence de conglomérats de plus de 5 cellules carcinomateuses, sans formation glandulaire en leur sein, et siégeant au sein d’une stroma-réaction (Figure 1). Ils peuvent être circonscrits par des fentes optiquement vides de rétraction en périphérie (aspect « micropapillaire »). Dans les adénocarcinomes mucineux, les flaques mucoïdes au sein desquels flottent des groupes de plus de 5 cellules carcinomateuses doivent être minimes et peu abondants pour que ces amas cellulaires puissent être considérés comme des amas carcinomateux peu différenciés [5].
Pour leur évaluation, le pathologiste doit regarder rapidement toutes les lames comportant la tumeur, au faible grossissement, et détecter le secteur au niveau duquel les amas peu différenciés sont les plus nombreux. Il compte ensuite dans cette zone, au grossissement 200, les amas de plus de 5 cellules carcinomateuses, sans structure glandulaire individualisable à l’intérieur (Figure1).
Les tumeurs avec moins de 5 amas sont classées en grade G1.
Les tumeurs comprenant de 5 à 9 amas sont classées en grade G2.
Les tumeurs comprenant plus de 10 amas sont classées en grade G3.
Dans leur étude multicentrique publiée en 2014, et regroupant 12 institutions, Ueno et al. montraient que la reproductibilité de ce grading entre pathologistes s’avérait satisfaisante, avec un coefficient kappa d’accord inter observateurs, égal à 0.52 [5]. Ce grading s’avérait surtout un facteur pronostic puissant, supérieur à la classification TNM dans cette étude regroupant 3243 patients [5]. Il était corrélé à la survie des 500 patients opérés dans la série de Ueno et al. (Figure 2) [3,4].
L’équipe de Barresi et al. a montré récemment que ce grading était également évaluable sur des prélèvements biopsiques, et qu’il était prédictif du stade pTNM de la tumeur sur la pièce opératoire, et de l’existence de métastases ganglionnaires [7,8].
Ce compte d’amas carcinomateux peu différenciés se distingue du « budding », ou bourgeonnement tumoral au niveau du front d’invasion de la tumeur. Le « budding » est en effet caractérisé par la présence de cellules carcinomateuses isolées, ou d’amas de moins de 5 cellules carcinomateuses, comptés sur un ou plusieurs champs, au grossissement 20, à la périphérie des tumeurs. Son évaluation est plus difficile par les pathologistes, moins reproductible, et nécessite parfois la réalisation de techniques immunohistochimiques complémentaires à l’aide d’anticorps anti-cytokératines.
En conclusion, ce nouveau grading des cancers colorectaux, reflet du degré de différenciation tumorale et élaboré par Ueno et al., est basé sur le compte d’amas cellulaires peu différenciés, composés de plus de 5 cellules tumorales, au grossissement 20. Il semble correspondre, d’après l’expérience de deux équipes japonaise et italienne, à un facteur histopronostic puissant, reproductible, et facile à évaluer par les pathologistes. Leurs résultats sont toutefois à confirmer. Mais à l’avenir, les pathologistes seront peut-être incités à ajouter ce nouveau critère et ce nouveau grading de différenciation à leurs comptes rendus standardisés d’analyse anatomo-pathologique des cancers colorectaux.
Figures
Figure 1 : Amas de cellules carcinomateuses peu différenciés, composés de plus de 5 cellules tumorales, sans différenciation glandulaire tubulaire en leur sein (flêches) (Hématéine éosine safran x 20).
Figure 2 : Diagramme de corrélation du grading à la survie des 500 patients opérés dans la série de Ueno et al. (d’après Ueno H, Kajiwara Y, Shimazaki H et al. New criteria for histologic grading of colorectal cancer. Am J Surg Pathol 2012;36:193-201).
Denis CHATELAIN, Service d’Anatomie Pathologique CHU Amiens
Références
- International Union Against Cancer (UICC). Histopathological grading. In Sobin LH, Wittekind Ch, eds. TNM Classification of Malignant Tumors. 6th ed. New York; Wiley-Liss;2002:13.
- Hamilton SR, Vogelstein B, Kudo S. Carcinoma of the colon and rectum. In: Hamilton S, Aaltonen L, eds. World Health Organization Classification of Tumors-Pathology and Genetics of Tumors of the Digestive System. Lyon: IARC Press 2000;105-119.
- Ueno H, Mochizuki H, Hashiguchi Y, et al. Histological grading of colorectal cancer: a simple and objective method. Ann Surg. 2008;247:811-8.
- Ueno H, Kajiwara Y, Shimazaki H et al. New criteria for histologic grading of colorectal cancer. Am J Surg Pathol 2012;36:193-201.
- Ueno H, Hase K, Hashiguchi Y, et al. Site-specific tumor grading system in colorectal cancer: multicenter pathologic review of the value of quantifying poorly differentiated clusters. Am J Surg Pathol. 2014;38:197-204.
- Barresi V, Reggiani Bonetti L, et al. Colorectal carcinoma grading by quantifying poorly differentiated cell clusters is more reproducible and provides more robust prognostic information than conventional grading. Virchows Arch. 2012;461:621-8
- Barresi V, Tuccari G. Colorectal carcinoma grading quantified by counting poorly differentiated clusters. Is it feasible on endoscopic biopsies? Am J Surg Pathol 2013;37:943-5.
- Barresi V, Bonetti LR, Ieni A, et al. Histologic grading based on counting poorly differentiated clusters in preoperative biopsy predicts nodal involvement and pTNM stage in colorectal cancer patients. Hum Pathol. 2014;45:268-75