Introduction
Le polype « cancérisé » « ou transformé » est un adénome colorectal, d’architecture tubulée ou villeuse et présentant des lésions dysplasiques de haut grade, au sein duquel se développe un adénocarcinome invasif, infiltrant (figure 1) [1].
Il s’agit d’une forme précoce de cancer colorectal, mais avec un risque non négligeable pour certains patients de récidive tumorale, et de développer des métastases ganglionnaires.
Le risque métastatique de l’adénome transformé est corrélé à certains critères anatomo-pathologiques [1], notamment :
- le degré de différenciation tumorale,
- le degré d’infiltration tumorale,
- le bourgeonnement tumoral au niveau du front d’invasion de la tumeur (budding),
- la présence d’extensions tumorales endovasculaires,
- et la distance de la tumeur infiltrante à la limite profonde d’exérèse.
Le choix thérapeutique pour les malades, polypectomie avec surveillance endoscopique, versus résection chirurgicale complémentaire, dépend de ces données anatomo-pathologiques, mais également de l’âge du patient, de son état général, ainsi que des autres facteurs de co-morbidités [1].
Figure 1 : Adénocarcinome bien différencié, développé en regard d’un adénome tubulo-villeux en dysplasie de haut grade, infiltrant la partie moyenne de la sous-muqueuse (sm2), sans embol, d’exérèse complète, mais arrivant à 0.5 mm de la limite profonde.
Fréquence de l’adénome transformé
Dans les séries endoscopiques la fréquence des diagnostics d’adénomes transformés varie entre 0.2% et 11% des polypes réséqués ou biopsiés, la moyenne étant située entre 4 et 7% [1]. La fréquence des polypes transformés pourrait augmenter à l’avenir en raison de l’extension des campagnes de dépistage coloscopique du carcinome colorectal, et de l’amélioration des techniques endoscopiques [1].
Facteurs de risque et pouvant faire suggérer à l’endoscopie un diagnostic d’adénome transformé
Les critères endoscopiques pouvant faire suggérer le caractère transformé d’un adénome colique sont :
- la taille du polype : un polype de moins de 5 mm n’a à priori aucun risque de transformation. La probabilité de transformation augmente avec la taille du polype, notamment à partir de 1 cm de grand axe. Le risque de transformation est de 30% pour les polypes de plus de 2 cm de grand axe et de près de 80% lorsque leur taille dépasse les 4 cm.
- La localisation rectale du polype : le risque de transformation est de 23% au niveau rectal contre 6% au niveau du côlon droit et 8% au niveau du côlon gauche.
- La présence d’une ulcération, de contours irréguliers et indurés, d’un pédicule court et fixé et l’impossibilité de soulever le polype lors d’une tentative d’exérèse endoscopique ou de mucosectomie.
- L’apport des nouvelles techniques endoscopiques jouera un rôle important à l’avenir. Les techniques de chromo-endoscopie avec optiques de haute résolution, ou d’endo- microscopie confocale, permettent en effet de mettre en évidence un aspect morphologique particulier des cryptes des polypes transformés. Ces polypes auraient également un signal d’aspect et d’intensité particulier par les techniques d’autofluorescence. Enfin, l’utilisation de mini-sondes pourrait permettre à l’avenir de mieux apprécier le degré d’infiltration tumorale au sein de la paroi colique.
Facteurs anatomopathologiques corrélés au risque de récidive et de métastase des adénomes transformés
Le degré de différenciation tumorale [1,2]
Les pathologistes distinguent classiquement trois grades de différenciation :
- le grade 1, ou adénocarcinome infiltrant bien différencié, architecturalement composé de plus de 95% de glandes,
- le grade 2, ou adénocarcinome moyennement différencié, composé de 50% à 95% de glandes
- le grade 3, ou adénocarcinome peu différencié, composé de moins de 50% de glandes ou présentant un contingent tumoral à cellules indépendantes. Certains pathologistes classent l’adénocarcinome mucineux dans ce groupe d’adénocarcinomes peu différenciés. D’autres pathologistes le classent dans le groupe des adénocarcinomes bien différenciés, ne classant dans le groupe des adénocarcinomes peu différenciés que les adénocarcinomes mucineux présentant une composante à cellules indépendantes.
Le risque de récidive des polypes transformés est en fait surtout corrélé au grade 3. Ils représenteraient de 5 à 9% des adénocarcinomes survenant sur polypes transformés, avec un risque de récidive de l’ordre de 35%. Il faut toutefois souligner que ce critère de mauvaise différenciation tumorale est souvent associé à d’autres critères histologiques péjoratifs, notamment le budding, la présence d’embols vasculaires et l’atteinte de la limite de résection chirurgicale. La reproductibilité du diagnostic du degré de différenciation tumorale est en outre sujette à caution entre pathologistes.
Le degré d’infiltration de l’adénocarcinome au sein du polype et de la paroi colique [3-7]
L’adénocarcinome infiltrant cantonné à la muqueuse, et ne dépassant pas la musculaire muqueuse, n’a à priori aucun risque métastatique.
Le risque métastatique apparaît en fait lorsque l’adénocarcinome infiltre la sous-muqueuse, ceci étant corrélé à la présence d’un réseau vasculaire plus important à ce niveau.
Diverses classifications existent pour caractériser le degré d’infiltration tumorale.
La classification de Haggitt [3], surtout utilisée par les anglo-saxons, n’est applicable qu’aux polypes pédiculés, et distingue :
- le grade 1, lorsque l’adénocarcinome infiltre la partie superficielle de la sous-muqueuse en regard de la tête du polype (avec un risque métastatique de l’ordre de 0%),
- le grade 2, lorsque l’adénocarcinome infiltre la sous-muqueuse jusqu’au collet du polype (correspondant à la jonction entre le pied et la tête du polype, avec alors un risque métastatique minime),
- le grade 3, lorsque l’adénocarcinome infiltre le pédicule du polype (avec un risque métastasique de l’ordre de 10 à 15%),
- le grade 4, lorsque l’adénocarcinome infiltre la sous-muqueuse de la paroi colique (avec un risque métastasique de l’ordre de 27%).
- L’adénocarcinome développé sur un polype sessile infiltre par définition directement la sous-muqueuse et est classé en grade 4.
La classification de Paris ou de Kikuchi [4,5], distingue trois grades d’infiltration tumorale de la sous-muqueuse :
- le grade sm1, lorsque l’adénocarcinome infiltre le tiers supérieur de la sous-muqueuse, soit moins d’un millimètre à partir de la musculaire muqueuse (avec un risque métastatique de l’ordre de 0 à 3%),
- le grade sm2, lorsque l’adénocarcinome infiltre le tiers moyen de la sous-muqueuse (avec un risque métastatique de l’ordre de 8 à 10%),
- le grade sm3, lorsque l’adénocarcinome infiltre le tiers profond de la sous-muqueuse (avec un risque métastatique de l’ordre de 23 à 25%)
Il faut toutefois signaler que cette classification est parfois difficile à utiliser par les pathologistes. Elle peut être sujette à un manque de reproductibilité diagnostique, le volume de sous-muqueuse intéressé par la résection étant souvent difficile à évaluer. La musculaire muqueuse est en effet dans certains cas totalement détruite par la prolifération tumorale et non visualisable par les pathologistes, et la musculeuse n’est quasiment jamais présente dans les produits de résection endoscopique analysés histologiquement.
La classification de Kitajima [6], consiste elle à mesurer l’épaisseur de l’infiltration tumorale de la sous-muqueuse.
Pour les polypes pédiculés, cette mesure est réalisée à partir de la jonction entre la tête et le pédicule. Quand elle est inférieure à 3000µm le risque métastatique est de 0%.
Pour les polypes sessiles, la mesure est réalisée à partir de la musculaire muqueuse, ou si la musculaire muqueuse n’est pas identifiable, à partir de la partie superficielle de la tumeur. Quand l’épaisseur est inférieure à 1 mm le risque métastatique est de 0%.
Ueno et al. [7], mesurent quand à eux la largeur de la prolifération tumorale adénocarcinomateuse infiltrante, estimant qu’elle a une valeur pronostique, corrélée au risque métastatique, lorsqu’elle dépasse 4000µm.
Le bourgeonnement tumoral au niveau du front d’invasion de la tumeur (« budding ») [8]
Le « budding » ou bourgeonnement tumoral au niveau du front d’invasion de la tumeur est évalué par le pathologiste en comptant, sur un champ au grossissement 20, en regard du front d’invasion de la tumeur, le nombre de cellules carcinomateuses isolées ou d’amas de moins de 5 cellules tumorales. Pour certains auteurs la présence d’un budding notable en regard de polypes transformés serait corrélée à un risque de récidive plus élevé. Sa valeur pronostique est cependant encore débattue, ainsi que la valeur seuil à prendre en considération: budding présent ou absent ? plus de 5 buddings ? plus de 10 buddings ?…
La présence d’embols vasculaires [9,10]
Des extensions tumorales endovasculaires sont retrouvées dans 12% à 16% des polypes transformés pour les emboles lymphatiques et 3.5% à 39% des polypes transformés pour les emboles veineux. Le risque de métastase est dans ces cas de 17% à 39%. Il faut toutefois signaler que le diagnostic d’embole lymphatique est parfois délicat pour le pathologiste, pas toujours facile à différencier d’artéfacts de rétraction en périphérie de lobules carcinomateux. L’utilisation systématique de marqueurs immuno-histochimiques endothéliaux, tels les anticorps anti-CD31 ou anti-CD34, pour faciliter la mise en évidence des vaisseaux et le diagnostic d’embole, n’est pas recommandée en pratique courante car pas toujours discrimante (l’absence de marquage ne permettant pas toujours d’exclure la possibilité qu’il s’agisse d’un vaisseau ; la présence d’un marquage en bordure d’une cavité pouvant parfois être artéfactuel, en raison de problèmes de bruit de fond lié à la technique immuno-histochimique).
Le rapport de la prolifération tumorale à la marge de résection chirurgicale profonde [10,11]
Pour certains auteurs, la marge de résection chirurgicale n’est atteinte que lorsque les cellules carcinomateuses arrivent directement au contact de la marge de résection chirurgicale profonde, électrocoagulée. Pour d’autres auteurs, et notamment pour la conférence de consensus nationale française de 1998, cette marge est considérée comme positive si les cellules tumorales arrivent à moins d’un millimètre de la limite profonde. Pour Volk et al. [11], la marge est positive si les cellules tumorales arrivent à moins de 2 mm de la limite profonde.
Le risque de récidive est de l’ordre de 0 à 2% lorsque la marge est supérieure à 1mm et de 21% à 33% lorsque la marge est inférieure à 1mm.
Le rapport de la prolifération tumorale à la marge profonde peut là encore être difficile à évaluer par le pathologiste, si la pièce de résection est communiquée fragmentée ; ou en raison d’incidences de coupe ou d’inclusions tangentielles des fragments tissulaires dans les blocs d’inclusion en paraffine.
L’analyse anatomo-pathologique d’un polype transformé permet donc d’individualiser 2 groupe de tumeurs, d’histologie favorable et d’histologie défavorable [1,10,11].
Les polypes transformés d’histologie favorable sont caractérisés par :
- un adénocarcinome invasif bien à moyennement différencié (grades 1 ou 2)
- sans embole,
- infiltrant la partie superficielle ou moyenne de la sous-muqueuse (sm1 voire sm2, d’une épaisseur inférieure à 1000µm pour les polypes sessiles et inférieure à 3000µm pour les polypes pédiculés, de grade 1 à 3 selon Haggitt),
- et arrivant à plus de 1 mm de la limite de résection chirurgicale profonde,
- l’exérèse devant être complète.
Pour les patients ayant ce type de polypes transformés, dans la méta-analyse de Volk et al. [11], le risque de récidive n’était que de 1%. Aucun traitement complémentaire n’est donc requis chez ces patients [1,10,11]. Mais ces derniers étant plus à risque de développer d’autres polypes (chez 12% des sujets) ou un adénocarcinome colique métachrone (0.6% des sujets), ils doivent faire l’objet d’une surveillance endoscopique à 3 mois, puis à 1 an, à 3 ans puis tous les 5 ans [10].
Les polypes transformés d’histologie défavorable sont eux caractérisés par :
- un adénocarcinome invasif peu différencié (grade 3),
- ou avec des extensions tumorales endo-vasculaires,
- ou infiltrant la partie profonde de la sous-muqueuse (sm3, d’une épaisseur supérieure à 1000µm pour les polypes sessiles et supérieure à 3000µm pour les polypes pédiculés, de grade 4 selon Haggitt),
- ou arrivant à moins de 1 mm de la limite de résection chirurgicale profonde,
- ou d’exérèse incomplète.
Pour ces patients, le risque de récidive et de métastase est compris entre 10% et 39% [11]. Ils sont donc éligibles à un traitement chirurgical complémentaire, à type de colectomie, à discuter en réunion de concertation pluridisciplinaire, en fonction de l’existence d’éventuelles autres comorbidités.
L’analyse anatomo-pathologique et les données présentes dans le compte-rendu anatomo-pathologique d’un polype transformé conditionnent donc la prise en charge des patients [1,10,11]. Il n’existe que peu d’études évaluant la qualité de ces comptes-rendus. Un travail américain publié en 2004 [12], mais ne portant que sur l’analyse de 88 comptes-rendus anatomo-pathologiques de polypes transformés, montrait que le degré de différenciation des adénocarcinomes n’était pas précisé par les pathologistes dans 22% des cas, la présence ou l’absence d’embole vasculaire non précisé dans 83% des cas, les rapports de la tumeur à la limite profonde non décrits dans 10% des cas. Ceci plaide en faveur de l’utilisation par les pathologistes de comptes-rendus standardisés, listant tous les items indispensables pour la prise en charge des patients ayant un polype transformé. Ce compte-rendu devrait être disponible dans un avenir proche sur le site de l’Institut National du Cancer.
En conclusion, les pathologistes jouent un rôle essentiel dans la prise en charge d’un patient ayant un polype transformé. Leur analyse anatomo-pathologique permet d’individualiser deux groupes de polypes transformés, d’histologie favorable (ne nécessitant qu’une surveillance endoscopique) et défavorable (nécessitant une colectomie complémentaire).
Les items indispensables à préciser dans les comptes-rendus anatomo- pathologiques sont :
- la différenciation de la tumeur,
- son degré d’infiltration au sein du polype et de la paroi colique,
- la présence d’emboles,
- la mesure de l’épaisseur de la tumeur,
- la mesure de la distance de la prolifération tumorale à la limite de résection chirurgicale profonde,
- le caractère complet ou non de l’exérèse.
Denis Chatelain, CHU Amiens
Références
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3. Haggitt RC, Glotzbach RE, Soffer EE, Wruble LD. Prognostic factors in colorectal carcinomas arising in adenomas: implications for lesions removed by endoscopic polypectomy. Gastroenterology 1985;89:328-36.
4. Kikuchi R, Takano M, Takagi K, Fujimoto N, Nozaki R, Fujiyoshi T, Uchida Y. Management of early invasive colorectal cancer. Risk of recurrence and clinical guidelines. Dis Colon Rectum 1995;38:1286-95.
5. The Paris endoscopic classification of superficial neoplastic lesions: esophagus, stomach, and colon: November 30 to December 1, 2002. Gastrointest Endosc 2003;58:S3-43.
6. Kitajima K, Fujimori T, Fujii S, Takeda J, Ohkura Y, Kawamata H, Kumamoto T, Ishiguro S, Kato Y, Shimoda T, Iwashita A, Ajioka Y, Watanabe H, Watanabe T, Muto T, Nagasako K. Correlations between lymph node metastasis and depth of submucosal invasion in submucosal invasive colorectal carcinoma: a Japanese collaborative study. J Gastroenterol 2004;39:534-43.
7. Ueno H, Mochizuki H, Hashiguchi Y, Shimazaki H, Aida S, Hase K, Matsukuma S, Kanai T, Kurihara H, Ozawa K, Yoshimura K, Bekku S. Risk factors for an adverse outcome in early invasive colorectal carcinoma. Gastroenterology 2004;127:385-94.
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9. Harris EI, Lewin DN, Wang HL, Lauwers GY, Srivastava A, Shyr Y, Shakhtour B, Revetta F, Washington MK. Lymphovascular invasion in colorectal cancer: an interobserver variability study. Am J Surg Pathol. 2008;32:1816-21.
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12. Komuta K, Batts K, Jessurun J, Snover D, Garcia-Aguilar J, Rothenberger D, Madoff R. Interobserver variability in the pathological assessment of malignant colorectal polyps. Br J Surg. 2004;91:1479-84.